Pourquoi ce silence gêné autour de la personne
d'Augustin Trébuchon ? Pourquoi la date à laquelle
il a été tué au combat a-t-elle été
falsifiée ? Le Lozérien est pourtant bien le dernier
Français tué sur le front de l'ouest, le 11 novembre
1918. Pèlerin vous livre son histoire et les clés du
secret qui l'entoure.
Au départ de cette
enquête, rien qu’une feuille volante que nous
procure le capitaine Philippe Roudier du Service historique de la
Défense (Vincennes). Elle déroule le récit
héroïque des derniers instants de Trébuchon :
le dernier Français tué au combat. D’où
vient ce récit ? Impossible de le dire avec certitude,
d’autant que l’état de services du soldat
Trébuchon indique qu’il aurait été tué
au combat de la Meuse, le 10 novembre 1918, et non le 11. De
surcroît, le Journal de marche de son régiment, le
415e, a disparu…
C’est à Vrigne-Meuse
(Ardennes), là où est enterré Trébuchon,
qu’on trouve la clé du mystère grâce à
l’ancien maire, Georges Dommelier. Ce dernier garde vivante
la mémoire des anciens du 415e qu’il a connus et dont
il a conservé les discours…
Les dernières heures
d’Augustin Trébuchon
Le
8 novembre, Augustin Trébuchon, soldat de première
classe, agent de liaison à la 9e compagnie du 3e bataillon
au 415e RI, pénètre dans les Ardennes : quinze jours
que les 700 hommes du 415e régiment d'infanterie
poursuivent « le Boche », à pied. Depuis
leur offensive ratée d’août 1918, les Allemands
reculent, mais se battent encore.
Le lendemain, la
libération de Sapogne-et-Feuchères offre une journée
de repos. Le soir, cuisiniers et ravitailleurs colportent une
rumeur incroyable : lesAllemands auraient demandé
l'armistice ! Ce soir-là, les divisions alliées ne
bougeront pas. Qui voudrait se faire tuer maintenant ?
Les
Allemands se sont retranchés sur le haut d'une colline de
l'autre côté de la Meuse. Ils ont fait sauter ponts
et barrages. Côté français, on a laissé
le matériel à Châlons-sur-Marne. Le fleuve est
infranchissable : on peut être tranquille, enfin !
Cependant, étrangement, le général Gouraud
donne ce même jour au 14e corps d'armée (1) l'ordre
de « surveiller l'ennemi afin de profiter de toute occasion
favorable pour franchir la rivière ». Ce que tentera
de faire le 415e RI.
La nuit du 10 au 11 novembre, les
hommes sont jetés dans la nuit par moins 6 °C pour
grignoter encore un peu de terrain. Avec sa compagnie,
Augustin Trébuchon redescend sur Dom-le-Mesnil puis
s'engage sur une prairie, saute une écluse, s'engage sur
des madriers pour franchir un barrage. Partout, des hommes
glissent et se noient dans la Meuse. Partout, des hommes
s'écroulent sous les tirs des mitrailleuses allemandes.
Grâce au brouillard, au bruit émis par le barrage, «
les Boches » ne voient rien, n'entendent rien : ils tirent
pour la forme.
La même nuit, les plénipotentiaires
allemands sont revenus à Rethondes. Ils acceptent toutes
les exigences françaises. A 5 heures du matin, l’armistice
est signé. A 6 heures, les volontaires qui se sont
risqués à aller chercher la soupe et le «
pinard » de l'autre côté de la Meuse,
reviennent avec la bonne nouvelle : la guerre est finie.
Finie
? Pas pour tous : à 8 heures, le capitaine du régiment
de Trébuchon reçoit l'ordre de poursuivre
l’offensive. Mais pourquoi ? Pourquoi envoyer le 415e dans
un combat perdu d'avance, 3 heures après la signature de
l'armistice ? Par la suite, on dira que cette offensive
improvisée avait été lancée pour
balayer les dernières hésitations allemandes.
8h45
! un coup de fil puis, vers 10 heures, un coureur arrive
enfin : « Ça y est... signé... fini... »
Le capitaine déplie le message et lit ce qu'il a déjà
entendu au téléphone : « 9h45. Maréchal
Foch télégraphie : 1. Les hostilités seront
arrêtées sur tout le front à partir du 11
novembre, 11 heures (heure française) ; 2. Les troupes
alliées ne dépasseront pas la ligne atteinte jusqu'à
nouvel ordre au jour et heure. Signé : Foch. »
Reste
à trouver un clairon. L'agent de liaison Georges Gazareth
en connaît un : Octave Delaluque. Il va le chercher, en
rampant, car les mitrailleuses allemandes alignent tout ce qui
bouge. Au retour, à 10h40, Gazareth croise « un corps
tout chaud, sans doute le dernier mort ». Aucun écrit
ne mentionne son nom. Il s'agit d'Augustin Trébuchon, tombé
20 minutes avant l'arrêt des combats.
A 11 heures,
Octave Delaluque, se dresse à demi, puis tout entier et
sonne l'armistice. Des bugles allemands lui répondent. Le
silence qui s’en suit n’est troublé par aucune
explosion de joie. Chacun est soulagé. Mais depuis l'aube
du 10 novembre, le 415e déplore 58 tués et 92
blessés. La 163e division dans son ensemble compte 86 morts
et 190 blessés pour la conquête d'une tête de
pont sans aucun intérêt stratégique.
Les vétérans de
Vrigne-Meuse
Dans
sa jeunesse, Georges Dommelier a côtoyé les officiers
du 415e. Ils avaient pris l'habitude de se retrouver à
Vrigne-Meuse aux alentours du 11 novembre.Parfois, ces anciens
poilus évoquaient « ce pauvre Trébuchon ».
Georges Dommelier leur demandait alors : « Et sa famille,
qu'est-elle devenue ? » - « Ah, mon gamin, on n'en
sait rien ! » lui répondaient les survivants.
Devenu maire-adjoint, George Dommelier mène
alors sa propre enquête. Il découvre qu'Octave
Delaluque - le seul clairon à avoir sonné
l'armistice sur le front, en plein combat - est mort clochard, en
1931.Puis il retrouve la trace d'Augusta Trébuchon, la
nièce, à qui il apprend que son oncle a très
probablement été le dernier Français tué
au combat sur le front de l'ouest. C’est l’occasion
d’évoquer des souvenirs : Augustin a été
« pastre » (berger communal) jusqu'à son
enrôlement. Que disait-il de la guerre ? Augusta n'en sait
rien.
En revanche, elle se souvient bien qu’Augustin
jouait des valses et des bourrées aux mariages, à
Saint-Privat ; qu’il devait se marier avec une fille du
Liconesse, Hortense Brun et qu’Hortense avait eu une fille,
Marie ; qu’elle ressemblait beaucoup à Augustin... Ou
encore qu’Augustin n'était venu en permission qu'une
seule fois, en 1917. Qu’il disait qu'il ne voulait plus
retourner au front et que c’était sa mère qui
l'avait poussé à y aller.
Un hommage manqué
Quatre-vingt
ans plus tard, le président de la République,
Jacques Chirac, et le chancelier allemand, Helmut Kohl,
s'annoncent à Vrigne-Meuse pour une commémoration
exceptionnelle de ce dernier combat. Georges Dommelier, le
maire-adjoint, prépare la cérémonie…
Finalement, aucune des personnalités annoncées ne
se rendra dans la petite commune.
Trente ans plus
tard, le maire-adjoint ressent toujours une cuisante déception
: le dernier mort de la Grande Guerre n’a jamais été
reconnu par la Nation. Et comme si ce soufflet n’était
pas suffisant, la croix blanche du parvis de la petite église
de Vrigne-Meuse porte une dernière injustice : «
Mort pour la France, le 10 novembre 1918. »
Pourquoi
pas le 11, comme le voudrait la vérité ? Pourquoi
l'état civil des 21 soldats du 415e RI, tués le 11
novembre, a-t-il été « corrigé »
de façon à faire croire qu'ils étaient tombés
le 10 ? C'est « un signe qui ne trompe pas » écrit
le général Alain Fauveau dans le Casoar (2). Pour le
commandement, cette opération aurait été
difficile à justifier à posteriori…
(1)
Le 415e Régiment d’infanterie appartient à la
163e Division qui fait partie du 14 e corps d’armée
de la IV e Armée « Gouraud » (2) L’organe
d’expression des saint-cyriens, avril 2008
Philippe Demenet - Photos : Joseph Melin et
l'illustration
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